samedi 10 juin 2017

“Pyramide : mot à mot chambre du mort” (les approximations du Dr. Adolphe Armand - XIXe s.)

Extraits des Lettres de l'Expédition de Chine et de Cochinchine, 1864, du Dr. Adolphe Armand (1818-1891).
Aucune information fiable à notre disposition sur cet auteur. Nous remarquerons plus particulièrement ses conjectures au sujet de l’ “ouverture de 50 centimètres carrés” dans la chambre du Roi, “soupirail borgne” pouvant probablement servir à l'écoulement des exhalaisons causées par la dessiccation progressive d’une momie.

Photos Edgar Brothers
Du Kaire, adossé aux dernières ramifications des monts Attakah, on domine (...) du sud au nord, une grande étendue de la vallée du Nil. En face, à 4 lieues de là, à l'ouest, l'horizon est borné par le bourrelet des sables libyques. Ce bourrelet, à base calcaire, a plus de 2 kilomètres de long et 42 mètres au-dessus du niveau du Nil.
On y arrive par une côte escarpée et sablonneuse où l'on trouve en quantité des coquilles fossiles, principalement des nummulites et des bélemnites, des huîtres fossiles, des cailloux de quartz, de silex, de spath, des filons ferrugineux, etc. C'est sur ce plateau que surgissent les trois pyramides de Gyzeh, dont la plus grande porte le nom de Chéops. 

Les revêtements qu'on a démolis à diverses époques

Des fossés larges et profonds taillés dans le roc, autour des deux grandes pyramides, sont comblés par les sables des dunes et des entassements de fragments de granit, de basalte, et surtout d'éclats de marbre des revêtements qu'on a démolis à diverses époques pour construire des temples, des palais et des mosquées, notamment au Kaire et à Alexandrie ; car il ne faut pas s'imaginer que les ordonnateurs de ces prodigieux monuments destinés, croyaient-ils, à abriter éternellement ‘leur cendre’, eussent eu la naïveté de les construire à dessein en gradins étagés à cette fin de permettre aux curieux d'aller voir de plus haut le soleil lever. Ce qui reste aujourd'hui, ce ne sont plus que les squelettes de ces mastodontes de l'architecture, si l'on peut ainsi parler.
Le revêtement des quatre faces formant autrefois des pans lisses, polis et éclatants, manque entièrement à la grande pyramide.
La deuxième, dégradée aussi dans les quatre cinquièmes de ses parties basses, a son sommet revêtu de marbre blanc légèrement taché en plusieurs endroits de la détrempe ocreuse du temps. Ce revêtement sur la face de l'est a plus de 40 mètres d'étendue à partir du sommet.
Cette particularité n'a pas échappé à MM. les archéologues de l'Institut d'Égypte, leur grand ouvrage en fait foi ; mais elle n'est pas assez connue de ceux qui parlent des pyramides.
Quant à ceux qui les voient, elle leur saute aux yeux. Cependant nous avons entendu un de ces touristes qui, dans leur précipitation de parler, mettent tout à l'envers, s'écrier: “Tiens ! Ie sommet de la deuxième pyramide vient d'être restauré !” (textuel)
Comme si pareille restauration, en supposant qu'il y eût quelqu’un au monde d'assez puissant et riche pour l'entreprendre, serait possible, en commençant par le sommet!
Les démolisseurs ont progressivement enlevé les premières assises extérieures et les ont successivement précipitées en les faisant rouler sur le plan incliné des faces ; de là ces entassements de débris fragmentés, surtout à la face nord, qui permet de gravir à plus de 20 mètres de hauteur à l'unique ouverture de la grande pyramide. 

La base des pyramides est sur le roc, leurs assises sont composées d'énormes blocs équarris, tirés des carrières de Torrah et amenés de là par des chaussées en plan incliné dont on voit encore les vestiges en relief.

La superposition de ces assises en retrait formant pyramide équivaut, pour Chéops, à quelque chose ayant pour base une aréa plus large que la place de la Concorde et pour hauteur la flèche de Strasbourg.
La deuxième pyramide Chephron le cède de peu en hauteur à la grande.
La troisième pyramide, dite Nycérinus, bien plus petite, était entièrement revêtue de granit.

Ces monuments, datant de vingt siècles avant Jésus-Christ, étaient destinés à la sépulture des rois. Cette destination est encore d'une incontestable évidence pour quiconque pénètre au cœur de Chéops par des couloirs étroits et à pente raide, dont il est difficile de donner une idée exacte par la description.
Qu’on nous permette pour cela une comparaison infiniment petite. L'ouverture d'entrée de la pyramide est à une certaine hauteur de la face nord, à la treizième assise, et il y en a 203 formant une hauteur de 166 mètres sur une inclinaison de 51° 50. Cette petite ouverture apparaît à peine comme l'ouverture d'une boîte aux lettres. En y entrant, on glisse dans un couloir plongeant comme une lettre glisse dans le couloir qui la conduit à la boîte. Ce n'est là qu'un premier temps.
Un autre couloir ou canal remonte du même point avec la même inclinaison de 26° ; c'est le cas de dire que l'angle de réflexion est égal à l'angle d'incidence. Vous montez n'est pas le mot, vous rampez, sinon à plat ventre, du moins à quatre pattes, aidés, poussés ou traînés par les Arabes conducteurs, qui ont eu la bonne idée de substituer à la torche fumante et asphyxiante la classique chandelle, pour vous conduire ou vous hisser dans ces couloirs quadrangulaires de 1 m,11 de côté.
Les blocs formant murailles sont d'un gris tendre analogue à celui du midi de la France ; mais ils sont tellement reliés entre eux et sans ciment que vous ne passeriez pas dans les interstices une lame de couteau, pour nous servir de l'expression juste et vraie d'un de nos prédécesseurs en cette exploration et membre de la commission d'Égypte.

La chambre sépulcrale

Arrivé au centre de la pyramide et au milieu de sa hauteur environ, vous pénétrez dans une chambre sépulcrale rectangulaire, car, dit Volney, cette chambre, si obscure, si étroite, de 13 pas de long sur 11 de large, et d'à peu près autant de hauteur, n'a jamais pu convenir qu'à loger un mort. Pyramide : mot à mot chambre du mort. Cette idée est du reste pleinement confirmée par le sarcophage en granit qui est à l'extrémité opposée à l'entrée. Ce sarcophage est ébréché dans l'angle sur lequel on a fait levier pour déplacer le couvercle et fouiller le tombeau.
À peu de distance du sarcophage, sur le plan où il repose, est une ouverture de 50 centimètres carrés, puits perdu, allant au fond de la pyramide, et sur l'usage duquel nous nous perdons en conjectures, soupirail borgne, pouvant probablement servir à l'écoulement des gaz plus denses que l'air, comme l'acide carbonique ; car les Égyptiens pouvaient bien ne pas connaître la densité relative des gaz que la chimie moderne nous a révélés, mais ils savaient assurément par expérience que, malgré tout leur art d'embaumer les corps, quelque hermétiquement que fussent closes leurs momies de milliers de corps humains et de corps d'animaux qu'ils entassaient dans les galeries, caveaux ou hypogées, il s'en échappait, par la dessiccation progressive, des exhalaisons à produire le méphitisme dans des milieux où ils pénétraient souvent et par une seule ouverture. Réfléchissons, en effet, que les corps embaumés, pour arriver à la dessiccation complète ou momification, devaient perdre 75 p. 100 de leur poids par l'évaporation des fluides, ce qui devait donner lieu à une énorme accumulation d'émanations putrides dont leurs puits étaient évidemment les dérivatifs. Telle est du moins, à nos yeux, l'hypothèse la plus probable sur les puisards de leurs pyramides et autres lieux de sépulture. 

Un funèbre lieu qui n'est en réalité que le vide, le néant et la mort

Quoi qu'il en soit, l'idée de tomber tête ou pieds premiers dans cet abîme béant et noir vous saisit d'horripilation. Or notez qu'il faudrait, pour que cela arrivât, la simple distraction de votre guide qui ne vous avertirait pas quand, ignorant le danger, vous vous promenez le nez en l'air pour regarder le beau revêtement de porphyre sur les parois de cette obscure chambre dite du roi, et au-dessous de laquelle est celle de la reine.
N'importe la massiveté porphyrique de l'endroit, on a hâte, quand on l'a vu, de se sauver de ce funèbre lieu qui n'est en réalité que le vide, le néant et la mort. (...)
La respiration des vivants s'y fait mal. Il est tellement vrai qu'on est malgré soi sombrement impressionné, qu'à un coude ébréché qui fait le couloir vers le milieu de sa longueur, un de nos compagnons d'expédition, quoique aidé de plusieurs guides et de notre exemple, s'arrêta court, se campa là sur son séant sans plus vouloir descendre ; il se croyait au fond d'un noir abîme et sans fond, et il ne s'agissait de franchir qu'un escalier de 2 mètres de hauteur qu'il fallait passer en glissant sur quelques aspérités du roc ; c'est ce que nous appellerons le pas oblique de la grande galerie ; or il tremblait alors autant que les plus grands trembleurs fumeurs d'opium, dont il a parlé dans son extrait du ‘Chinese repertory’.
Ces couloirs, bien on le pense, n'ont pas été ménagés à cette fin de permettre aux profanateurs des excursions de fantaisie ; ils étaient tout naturellement destinés à hisser la bière des présomptueux personnages qui, longtemps d'avance, se faisaient construire ces palais funéraires dont la masse et la mystérieuse construction n'ont pas empêché leur cendre d'être jetée au vent.
‘Memento quia pulvis es…’

Leçon philosophique de tous les temps et de tous les pays ; ce sont les orgueilleux qui ont le plus voulu faire abriter leur cendre qui se sont le plus exposés aux profanations par la vanité qu'ils ont eue d'être entourés après leur mort des objets précieux qu'ils portaient de leur vivant : armes, joyaux, colliers ou couronnes, tels sont les leviers que la cupidité des vivants a employés de tout temps pour profaner la retraite des morts.