lundi 29 mai 2017

Les pyramides égyptiennes : “Des pages écrites en caractères indestructibles” (Frédéric Goupil-Fesquet - XIXe s.)


Le texte ci-dessous est extrait de l’ouvrage Excursions daguerriennes : vues et monuments les plus remarquables du globe, Noël-Marie Paymal Lerebours, 1840-1843. Il porte la signature de
Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878), peintre-aquarelliste-graveur, neveu du peintre Horace Vernet (qu’il accompagne en Égypte pour un bref séjour à Alexandrie et au Caire), pionnier de la photographie en Égypte.
Le 20 novembre 1839.

Giseh est un petit village sur la rive occidentale du Nil, à la place qu'occupait autrefois Memphis. Il n'est remarquable aujourd'hui que par sa riante situation et son école de cavalerie fondée et dirigée par Varin-Bey, notre compatriote distingué, dont l'accueil aimable et cordial nous avait fait retrouver quelques instants de la vie française. De la terrasse de cette école on distingue le village d’Embabeh, champ de bataille illustré par nos lauriers, non loin des Pyramides. De Giseh à la montagne qui est élevée de 100 pieds au-dessus du niveau du Nil qui la baigne, lors du débordement, il y a cinq mille toises environ en ligne directe ; ce trajet est bien plus long lorsque les eaux ne sont pas encore retirées de la plaine. Dix-huit lieues avant d'arriver au Caire, nous avions aperçu les Pyramides, et deux heures avant de les atteindre, nous nous en croyions tout près. La silhouette des arêtes commençait à se denteler. On devinait à peine les assises de ces longues pierres dont la taille moyenne est de 15 à 20 pieds de long sur 3 ou 5 de haut.
Les ombres muettes de ces majestueux colosses grandissait à mesure que nous approchions, et que l'heure s'avançait à ces immuables horloges des siècles ! (...)
La pyramide que le lecteur a sous les yeux est celle de Cheops ; sa hauteur verticale est de 448 pieds, la longueur de sa base est de 728 pieds. Ses deux voisines, Cephrennes et Mycerinus, situées à 5 ou 600 pas de distance, à peu près sur la même ligne, sont de dimensions différentes.
Nous les donnons ici pour chacune d’après les relevés les plus authentiquement exacts :
Cephrennes, dont le sommet est recouvert des quatre côtés de plaques de granit poli, a 398 pieds de hauteur verticale et 655 pieds de base.
Mycerinus, 162 pieds de hauteur verticale, 280 pieds de base.

Le sentiment d'une durée sans borne, joint à une impression insurmontable d'immobilité

Les Égyptiens croient qu'elles sont l'œuvre des Géants qui habitaient leur pays à des époques très reculées. Ce qu’il y a de plus remarquable dans leur construction est la disposition de leurs faces tournées vers les quatre points cardinaux. Nous n'entrerons pas dans le détail des conjectures sans nombre auxquelles se sont livrés les savants au sujet de ces pages obscures de l'histoire, pages écrites en caractères indestructibles, puisque. le temps qui entraîne tout comme un déluge les a laissées inaltérables dans son cours. On n'y découvre au dedans ni au dehors aucune trace d’hiéroglyphes. Ces fantômes silencieux des siècles passés, par la grandeur de leur masse, la largeur de leur base, les fortes proportions de leurs parties constituantes, font naître le sentiment d'une durée sans borne, joint à une impression insurmontable d'immobilité. On est accablé du poids de ces montagnes engendrées par l'homme si petit et si faible à leurs pieds : on admire sa puissance : l’étonnement, la terreur, l'humiliation et le respect saisissent à la fois le spectateur. On se reporte aux récits d‘Hérodote ; le calcul du temps employé à construire ces rochers. des peines qu'ont exigées l’extraction, la taille et le transport de ces blocs hors des carrières même les plus voisines, étourdit et fatigue la pensée ; puis mesurant d'un coup d'œil ces monuments qui vous dominent. les comparant au désert qui Ies porte, au ciel qui les enveloppe de son riche manteau d'étoiles, l'âme retombe tristement sur elle-même ; au milieu de cette solitude que l'homme a préféré remplir de l’image plus triste de son despotisme, plutôt que de son utilité, on regrette l'emploi de tant de génie et d’intelligence pour élever de vains sépulcres où chaque pierre est une lettre des mots orgueil, vanité, servitude ; épitaphe terrible en ce qu’elle ne s’effacera qu'avec le monument qui la porte. Rois de la terre, maÎtres de l’Égypte, vous êtes confondus aujourd'hui dans la même poussière que celle du pauvre ouvrier qui vous éleva des tombeaux ! Le chacal immonde se fait un piédestal de vos pyramides ! La chouette se nourrit des précieux aromates qui bourraient à grands frais vos entrailles ! elle pleure dans vos sarcophages où elle laisse tomber sa hideuse carcasse fatiguée à côté de vos inutiles débris !

Trois chambres principales

La pyramide de Cheops est la seule qui soit ouverte aux curieux. Des Arabes, munis de flambeaux servent de conducteurs pour y pénétrer. Son entrée est du côté du nord, et les pierres de cette surface paraissent plus vermoulues que celles des autres ; le vent a formé dans cette partie un glacis de sable qui en facilite l’accès. M. de Norden prétend avoir observé dans ce sable des coquillages et des écailles d'huîtres pétrifiées. À plus de 48 pieds au-dessus de l'horizon s’élève une porte surmontée (en manière de fronton) de longues pierres en chevrons parallèles, d'une énorme grosseur ; les parois latérales ressemblent assez par leur disposition à l'entrée d'une carrière en exploitation.
Il y a trois chambres principales : la chambre du roi, celle de la reine et celle qu'a récemment découverte l’antiquaire Caviglia au-dessous des deux premières. Elles sont à peu près semblables en tout point. On y arrive par cinq très longs conduits étroits et bas, revêtus des quatre côtés de grands morceaux de marbre blanc poli, aujourd'hui dégradés par la fumée des flambeaux que les voyageurs sont obligés d'y apporter. Ces couloirs sont tous dirigés du nord au sud, et par un double embranchement conduisent à la chambre du roi située à peu près au dessus de la seconde vers le milieu de la pyramide à environ 160 pieds du sol. Au milieu est un sarcophage de pierre d’environ 7 pieds de long sur 11 de large et 3 1/2 de haut. Il rend le son d‘une cloche quand on le frappe ; le couvercle en a été enlevé et les parois ébréchées ; la hauteur de cette salle est de 19 pieds, sa longueur de 32, sa largeur de 16 ; le plafond est construit de pierres d'un seul morceau qui en parcourt toute la longueur.
La pyramide de Cephrennes est la seule qui ait conservé son revêtement de granit. Mycerinus n’a rien qui puisse intéresser puisqu'elle est bouchée. Non loin de Cephrennes, en descendant imperceptiblement vers l'ouest, on voit la tête du fameux sphinx si souvent décrit.

Une excavation où l’on reconnaît une chambre

La quatrième pyramide est de 100 pieds plus basse que les autres et terminée par une plate-forme irrégulière. Ces quatre grandes pyramides sont entourées d’autant de petites qui ont toutes été fouillées et plus ou moins démolies pour y découvrir des chambres.
Après l'excursion intérieure dans la pyramide de Çheops, on peut en faire une à l’extérieur qui n'est pas la moins fatigante, par l'angle nord-est où la montée est plus facile. (...) À deux tiers de l’élévation totale du monument on se repose dans une excavation où l’on reconnaît une chambre, par laquelle on avait tenté de pénétrer dans l'édifice avant d'avoir découvert l'entrée actuelle.
De la plate-forme qui résulte de la destruction de trois ou quatre assises, on jouit d'un coup d'œil magnifique. À l'orient se déroule à vos pieds la riante vallée du Nil, tandis qu'à l'occident le regard se perd dans l'immensité du désert le plus aride.”